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Les données de santé des cliniques universitaires suisses n’étaient jusqu’à présent pas standardisées, ce qui compliquait leur réutilisation. Le Swiss Personalized Health Network (SPHN) a désormais harmonisé ce système afin d’exploiter de façon polyvalente des données et des concepts novateurs en matière de recherche en santé personnalisée.
La médecine personnalisée s’appuie sur d’importantes quantités de données. Il s’agit notamment de données sur la santé issues de la pratique clinique, des domaines de la génomique, de la transcriptomique, de la protéomique et de la métabolomique («omiques») ainsi que de données provenant de registres, études et cohortes. L’enregistrement, le recoupement et l’analyse de ces données permet d’établir des diagnostics plus précis et des traitements individualisés, de reconnaître les risques de certaines maladies et d’assurer une prévention précoce [1]. La prise en charge médicale ne s’oriente donc plus uniquement sur les valeurs moyennes de certaines populations, mais tient aussi compte de caractéristiques individuelles des patientes et patients.
Le défi des données de santé
En 2016, l’initiative Swiss Personalized Health Network (SPHN) a été lancée par la Confédération pour créer les prérequis essentiels à la médecine personnalisée, basée sur les données en Suisse [2]. Font partie du réseau: les cliniques universitaires, les universités, les hautes écoles spécialisées et les écoles polytechniques fédérales ETH et EPFL. «Au début de l’initiative, le paysage des données issu des institutions partenaires était extrêmement hétérogène, tant en termes de maturité de gestion des données que d’utilisation de standards communs», déclare le Dr Thomas Geiger, directeur du SPHN. Au-delà des aspects juridiques, éthiques et techniques, l’échange de données de santé pose également un défi culturel. La protection des données est souvent jugée plus importante que le bénéfice qui découle de leur usage. Les hôpitaux et médecins concurrents assurent leurs propres intérêts et veulent d’abord tirer la quintessence des données qu’ils ont recueillies. De même, l’esprit de clocher des cantons est perçu comme étant peu propice à l’interopérabilité entre les différents acteurs du réseau. Un vaste échange de données est toutefois primordial pour la recherche médicale ne serait-ce qu’en raison de la superficie de la Suisse.
Au début de l’initiative, le paysage des données issu des institutions partenaires était extrêmement hétérogène.
Standards de données et prestations de service
Depuis 2017, deux périodes de financement ont permis de créer, au sein du réseau, une «compréhension mutuelle concernant l’utilité et la plus-value du partage de données et de l’harmonisation des processus. Des visions communes de l’échange des données ont été développées», déclare Katrin Crameri, directrice du centre de coordination des données du SPHN à Bâle. Et d’ajouter: «Concrètement, plus de 100 paramètres cliniques standards ainsi que des bases d’interprétation précises reposant sur des standards internationaux de données ont été définis pour désigner les concepts et données. eHealth Suisse fait l’objet d’un consensus car le dossier électronique du patient (DEP) nécessite des données structurées et standardisées.»
Aujourd’hui, les données sensibles peuvent être transférées vers le réseau haute sécurité BioMedIT, elles sont doublement cryptées via des pipelines sécurisées, explique Katrin Crameri. «Elles peuvent être traitées sur des ordinateurs haute performance, mais restent toujours dans le «Trusted Research Environment». Cela est crucial pour obtenir la confiance des hôpitaux participants et, au bout du compte, des patients qui mettent leurs données à disposition», souligne Katrin Crameri. Des prestations essentielles sont assurées par le biais du centre de coordination des données (DCC): «Il s’agit d’une part de toute une palette de logiciels qui facilitent considérablement l’intégration et l’entretien des données d’origines diverses (par exemple imagerie, laboratoire, séquence génétique, texte, etc.) des différents systèmes et organisations.» Cela inclut un système d’interrogation qui permet d’analyser la faisabilité d’un projet de recherche sur la base des données existantes provenant de cinq hôpitaux. Les prestations non techniques sont aussi importantes, notamment lorsqu’il est question de modèles concernant des questions éthiques ou juridiques. Les infrastructures, standards et services créés par le SPHN reposent sur les expériences d’environ 40 projets de recherche et de développement appliqués et financés [3].
Quatre plateformes nationales de données
Avec les bases existantes dans le SPHN, les National Data Streams (NDS), financés conjointement par le SPHN et le programme du domaine de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH) Personalized Health and Related Technologies (PHRT), ont pour but de poser de manière exemplaire les fondations en vue de concepts viables dans le domaine de la recherche sur la santé personnalisée. Un effet de signal pour les futurs projets est attendu. À l’avenir, des données destinées à la recherche en médecine intensive, oncologie, pédiatrie et soins seront disponibles sur quatre plateformes [3]. «Quatre consortiums constitués de chercheuses et chercheurs issus des institutions impliquées dans le SPHN entretiennent les données conformément à la stratégie d’interopérabilité du SPHN. À côté de leurs propres recherches dans un projet phare, les données peuvent aussi être exploitées pour des projets menés par des tiers», déclare Katrin Crameri.
De nombreuses données complexes sont recueillies lors de la surveillance des patients atteints d’infections sévères.
Détecter tôt les infections sévères
L’un de ces NDS se consacre aux infections sévères. Du point de vue phénotypique, celles ci présentent une grande hétérogénéité qui se répercute de manière variée sur l’évolution clinique et le succès thérapeutique. Les patients atteints d’infections sévères sont très étroitement surveillés en médecine intensive. Une multitude de données très complexes sont alors enregistrées, qui présentent parfois une haute résolution temporelle. Combinée aux paramètres cliniques destinés à l’examen des infections, une analyse de ces données provenant des cinq hôpitaux universitaires permet une évaluation plus individuelle, une caractérisation plus précise et un meilleur établissement du pronostic [4].
« Nous pouvons alors nous référer à l’infrastructure existante d’un projet précédent dans la Clinical Data Warehouse», déclare le Prof. Dr méd. Adrian Egli, responsable de projet du NDS «Personalized, data-driven prediction and assessment of infection related outcomes in Swiss ICUs» (IICU). Certains blocs de travail du projet sont déjà avancés. La définition des infections en médecine intensive présente le meilleur développement et la création d’une documentation électronique du patient ainsi que les analyses bio-informatiques font de grands progrès. Selon Adrian Egli, le défi de taille repose sur les exigences juridiques relatives aux contrats entre les nombreux partenaires de projet et la clarification des questions éthiques. Cela demande beaucoup de temps et une évaluation des données déjà disponibles ne peut avoir lieu qu’une fois ces points éclaircis. Adrian Egli reconnaît un potentiel important pour la médecine personnalisée dans la validation de biomarqueurs numériques, permettant de détecter plus rapidement un sepsis et d’autres infections sévères.
Médecine de précision en oncologie
L’oncologie de précision ouvre de toutes nouvelles perspectives pour les patientes et patients atteints de cancer. Les données cliniques, les analyses omiques complexes ainsi que les images de pathologie et radiologie sont alors évaluées à l’aide de l’intelligence artificielle pour permettre de traiter les patients de manière personnalisée. «Des données de qualité et interopérables sont d’une importance décisive tant pour nos programmes cliniques que pour nos programmes de recherche dans le domaine de l’oncologie de précision. Avec le SPHN, nous pouvons avoir recours à une excellente infrastructure pour échanger nos données tout en respectant des standards de qualité et de sécurité très élevés», déclare le Prof. Dr méd. Olivier Michielin de la Clinique universitaire de Genève, responsable du projet Swiss Personalized Oncology-NDS (SPO-NDS) [5] en collaboration avec le Prof. Dr Bernd Bodenmiller, de l’ETH Zurich.
Un registre national a pour but de répertorier les surtraitements et leurs conséquences pour les patients.
Une phase test est en cours, dans laquelle le bénéfice des approches omiques est évalué pour le Tumor Board moléculaire. «Générer et standardiser des données omiques dans toute la Suisse et mettre ces informations à disposition du Tumor Board moléculaire dans un délai de deux à trois semaines représente un défi de taille. Cela est désormais une réalité grâce au SPHN et à l’extraordinaire esprit d’équipe du projet SPO-NDS», se réjouit Olivier Michielin. Le premier patient est attendu début 2024, annonçant ainsi une nouvelle étape pour l’oncologie de précision en Suisse.
Médecine personnalisée en pédiatrie
Le SwissPedHealth-NDS a pour but de créer une plateforme de données sur laquelle sont enregistrées et traitées des données cliniques routinières issues de grands hôpitaux pédiatriques et cliniques universitaires suisses [6]. «En pédiatrie, il est particulièrement important de tirer des leçons des données. Cela peut représenter un énorme bénéfice pour les enfants, qui sont les patients les plus vulnérables. Toute amélioration des soins pédiatriques a des répercussions sur l’ensemble de la société», déclare le Prof. Dr méd. Luregn Schlapbach, de la Clinique pédiatrique universitaire de Zurich, l’un des responsables du projet SwissPedHealth. Le NDS est constitué de quatre projets partiels dans les domaines croissance et surpoids, oncologie, pneumologie et résistance aux antibiotiques en cas de maladie infectieuse.
Luregn Schlapbach précise: «Lorsque nous parlons de médecine personnalisée en pédiatrie, il s’agit généralement de maladies rares dont sont atteints seulement quelques enfants. Afin d’éviter des évolutions graves, ces maladies doivent être détectées tôt.» Dans le cadre du projet phare rattaché, des données multiomiques sont recueillies parallèlement aux procédés diagnostiques habituels en cas de maladie pédiatrique rare. Avec l’utilisation de l’apprentissage automatique, des algorithmes accélérant le diagnostic doivent être conçus à partir de cela [6]. Actuellement, les efforts se concentrent sur le développement de l’infrastructure, explique Luregn Schlapbach, des données ont toutefois déjà été recueillies en parallèle dans tous les projets partiels.
Optimiser les soins et les processus médicaux
Dans les hôpitaux suisses, les soins et les processus médicaux n’ont jusqu’à présent guère, voire pas du tout, été documentés et contrôlés sur le plan national, contrairement aux indicateurs de performance tels que la mortalité, les réadmissions ou la durée de séjour. Le NDS «Low Value Care in Medical Hospitalized Patients» (LUCID) permet de mettre sur pied un tel instrument de surveillance dans les cinq cliniques universitaires suisses. Ce registre national doit répertorier les surtraitements, leur développement au cours des dix dernières années et les conséquences cliniques pour les patients. Sur la base de ces résultats, des améliorations concrètes de la qualité des soins peuvent être obtenues [6]. «Cela dépend toutefois de la volonté publique et politique», explique la PD Dre méd. Marie Méan, du Centre hospitalier universitaire vaudois. Elle est l’une des responsables du projet et ajoute: «La collaboration au sein du réseau fonctionne très bien. En peu de temps, une architecture informatique modulaire conforme au SPHN, disponible également pour d’autres applications, a pu être développée pour LUCID. La première saisie de données dans BioMedIT aura lieu cet automne. Il s’agit des données de 100 000 patients hospitalisés entre 2014 et 2023.» Les premiers résultats sont attendus pour 2024. Pour garantir une utilisation économique des poches de sang, l’administration des transfusions sanguines doit être le premier processus médical examiné.
Comment se dessine l’avenir
Consolidation 2025–2028
- Les services centraux et infrastructures du SPHN-DCC, qui garantissent la disponibilité, l’accès, l’interopérabilité et l’analyse des données dans un environnement informatique sécurisé, doivent continuer d’être consolidés. C’est une condition essentielle pour la réutilisation des données de santé à des fins de recherche.
- L’offre de services du SPHN-DCC peut être étendue.
- Une utilisation étendue des données est envisageable, par exemple des services basés sur des données pour l’administration publique, l’industrie, les problématiques du domaine de la santé publique, l’assurance qualité ou l’autorisation de mise sur le marché.
- En plus des hôpitaux, d’autres sources de données peuvent venir s’ajouter, notamment d’autres prestataires de santé, des données personnelles provenant par exemple de dispositifs portables [9].
Après 2028
- L’utilisation répandue de données de santé complètes pour la recherche et d’autres applications doit également être garantie à long terme. Il est donc envisagé d’intégrer le SPHN-DCC dans la «plateforme de coordination de la recherche clinique» après 2028 [10]. Cette plateforme pourrait être rattachée à un «centre national pour la santé et la recherche».
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