De nouveaux espoirs pour les paralysés

De nouveaux espoirs pour les paralysés

Article de fond
Édition
2023/38
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2023.22105
Bull Med Suisses. 2023;104(38):16-20

Publié le 20.09.2023

Recherche Lors d’une lésion de la moelle épinière, le travail de rééducation doit être engagé le plus tôt possible pour favoriser la neuroplasticité du système nerveux central. Des thérapies innovantes sont en cours de développement en Suisse afin d’améliorer la récupération fonctionnelle des paraplégiques et tétraplégiques. Tour d’horizon.
Ergothérapie, physiothérapie, activités physiques et cognitives adaptées... Ces thérapies conventionnelles visent à développer l’autonomie chez les personnes atteintes de paralysie médullaire. Elles servent aussi à activer leurs capacités d’autoguérison. Dans la plupart des cas, les lésions médullaires sont partielles.
«À l’aide des thérapies, et grâce aussi à des méthodes d’entraînement individualisées, les fibres nerveuses encore fonctionnelles sont stimulées et peuvent rétablir, partiellement, la communication nerveuse dans la zone blessée», explique Björn Zörner, médecin-chef au Centre suisse des paraplégiques de Nottwil. «Il ne s’agit pas de régénérer les nerfs abîmés, mais d’utiliser la neuroplasticité afin de créer de nouvelles connexions entre les nerfs non endommagés.» Inévitablement, les progrès des patientes et patients finissent toutefois par stagner, car la nature a ses limites. Des recherches en cours proposent des solutions innovantes pour les dépasser.
Gert-Jan a réappris à marcher en contrôlant ses pas grâce à sa pensée et à une interface cerveau-machine.
© EPFL-Jimmy Ravier

Remarcher grâce à la pensée

L’étude a fait grand bruit lors de sa publication en mai dernier dans la revue Nature [1]: pour la première fois au monde, un homme ayant perdu l’usage de ses jambes se mettait à marcher en contrôlant ses pas grâce à sa pensée et à une interface cerveau-machine. D’après ses mots, rendus en conférence de presse, Gert-Jan, quadragénaire paraplégique depuis douze ans, a réappris à marcher de «manière normale et naturelle». Il est à l’aise dans la position debout et peut même monter des escaliers. Un exploit rendu possible grâce à deux implants qui créent un pont digital entre son cerveau et sa moelle épinière, contournant ainsi la zone cervicale lésée. Ce cas inédit fait suite à des travaux qui ont associé Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au CHUV et professeure à l’UNIL, et Grégoire Courtine, professeur en neurosciences à l’EPFL, ainsi que leurs collègues du centre Neurorestore et du centre de recherche biomédicale Clinatec de Grenoble.
L’implant cérébral, grenoblois, est constitué de deux dispositifs d’enregistrement sans fil, de 5 centimètres de diamètre et 12 millimètres d’épaisseur comportant chacun 64 électrodes. Il est implanté sous la peau, à la place d’une partie de la boîte crânienne, au niveau du cortex moteur. L’implant posé sur la moelle épinière est un neurostimulateur connecté à un champ d’électrodes permettant de contrôler le mouvement des jambes. Lorsque le système est activé, Gert-Jan porte un casque adapté à la localisation de ses implants, dans lequel sont intégrées deux antennes, dont l’une transfère les signaux générés par le cerveau à un ordinateur positionné sur un déambulateur, ou dans un sac à dos, en cas de marche avec des béquilles. L’informatique, dont les algorithmes sont basés sur l’IA, décode les signaux cérébraux en temps réel, et génère des séquences d’informations envoyées par ondes radio à l’implant spinal qui stimule électriquement les muscles selon l’intention du patient.

Des implants «vraiment utiles»

«Refaire marcher des paraplégiques grâce à l’utilisation d’un neurostimulateur spinal est un savoir-faire que nous maîtrisions déjà», commente la neurochirurgienne Jocelyne Bloch. Cette technique nécessitait jusque-là que le patient actionne un boîtier déclenchant des séquences de mouvement préenregistrées. Les muscles étaient stimulés de façon «on-off», rendant la démarche quelque peu brusque. «Avec le nouveau dispositif, le fait d’anticiper les mouvements par la pensée permet d’adapter la marche à l’environnement, de ralentir si le terrain est accidenté par exemple. Le rendu est bien plus fluide et avantageux», ajoute la chercheuse.
Les signaux générés par le cerveau sont transmis à un ordinateur.
© EPFL-Jimmy Ravier
L’emploi d’interfaces cerveau-machine (ICM) chez des patientes et patients paralysés a déjà cours [2]. En bénéficient les tétraplégiques atteints du syndrome d’enfermement. Incapables d’avoir une expression faciale ou de parler, l’usage d’une ICM leur permet d’utiliser des lettres pour s’exprimer. «Dans ce cadre, l’implant cérébral est très invasif, ce qui n’est pas notre cas. Notre intervention chirurgicale est peu risquée», précise Jocelyne Bloch, qui s’enthousiasme à l’idée que l’innovation dont ils viennent de faire la démonstration pourrait «vraiment s’avérer utile», vu sa relative simplicité et la large population de potentiels bénéficiaires. Des améliorations restent toutefois à apporter pour en faciliter la diffusion à large échelle. Miniaturisation de l’informatique, optimisation des électrodes... le développement du produit a été confié à la société ONWARD Medical. Les scientifiques suisses ont, quant à eux, déjà prévu de mettre à l’épreuve leur dispositif sur six nouveaux patients.

Régénération neuronale et anticorps

«L’intensité des entraînements est cruciale pour générer de nouvelles fibres nerveuses en remobilisant les muscles. Les exosquelettes qu’utilisent certains de nos patients contribuent ainsi à préserver leur motivation», souligne Björn Zörner. Toutefois, si la lésion de la moelle épinière est trop grave, cette stratégie fonctionne peu. Le Centre suisse des paraplégiques de Nottwil a été l’un des 14 établissements européens participant au projet Nogo-A Inhibition in acute Spinal Cord Injury (NISCI), un essai clinique de phase 2 qui s’est achevé en mars dernier et qui visait à tester l’efficacité d’un médicament soutenant la régénération des fibres nerveuses.
Le fait est connu depuis les années 1980: une fois le système nerveux central arrivé à maturité, différentes protéines inhibitrices empêchent activement sa régénération. L’une d’entre elles, la protéine Nogo-A, a fait l’objet de travaux montrant qu’il était possible de lever cette inhibition en ayant recours à des anticorps spécifiques, appelés «anti-Nogo-A» [3]. À la suite d’une étude clinique de phase 1 [4] réalisée en 2006 pour valider la sécurité du produit et identifier son bon dosage, l’étude de phase 2, menée en double aveugle dernièrement, poursuivait un double objectif. «Le premier concerne le profil des patients», explique le Prof. Dr méd. Armin Curt, médecin-chef et directeur du centre pour paraplégiques de l’Hôpital universitaire de Balgrist et responsable de l’étude. «Les 126 participantes et participants étaient tous des tétraplégiques présentant une blessure aiguë au niveau de la colonne cervicale, mais avec une localisation et un degré de sévérité divers, des déficits différents. Peut-on savoir à quel type de patient le traitement bénéficierait le plus?» Deuxième objectif: déterminer quelles améliorations fonctionnelles du patient l’on peut vraiment espérer: légères ou importantes?

Récupération fonctionnelle améliorée

Chaque patient hospitalisé pour six mois a reçu six injections d’anti-Nogo-A dans le liquide céphalo-rachidien lors des 30 premiers jours. En parallèle, il a poursuivi une thérapie de rééducation conventionnelle. Le traitement devait débuter 28 jours au plus tard après la date de la blessure, la condition est importante. Cet intervalle de temps correspond à une phase pendant laquelle le système nerveux central tente de se régénérer: l’effet de soutien des anti-Nogo-A est essentiel durant cette période. «Pendant l’étude, des tests fonctionnels ont été menés régulièrement pour évaluer l’état moteur des membres supérieurs, commente Björn Zörner. Par exemple, observait-on plus de force au niveau des différentes articulations? Les fonctions des membres supérieurs, comme une prise alimentaire autonome, s’amélioraient-elles?»
Alors que l’étude est toujours en cours d’évaluation, le Prof. Dr méd. Armin Curt se montre satisfait. «Les premiers résultats sont d’ores et déjà concluants, annonce-t-il. Si le médicament n’a pas du tout bénéficié à certains tétraplégiques, nous avons néanmoins identifié une sous-population de patients ayant très bien répondu au traitement: la récupération fonctionnelle de leurs membres supérieurs a donné des résultats bien meilleurs qu’en thérapie conventionnelle.» Une analyse plus poussée des données permettra de définir avec précision quel type de lésion cervicale représente une contre-indication aux anticorps Nogo-A. Alors que les résultats finaux devraient être publiés fin 2023, Armin Curt prépare la suite. «L’année prochaine, nous comptons explorer d’autres fonctions que celles liées à la main et au bras, nous nous intéresserons aussi à la marche.»

Favoriser la repousse des fibres nerveuses

Au centre Neurostore, une autre approche s’intéressant à la réparation de la moelle osseuse a, elle, été poussée au stade préclinique. «Parmi les différentes stratégies possibles, celle que nous investiguons consiste à remettre en route le programme de croissance des nerfs de la moelle épinière, normalement à l’arrêt une fois adulte», explique Mark Anderson, directeur de l’unité Régénération du système nerveux central de l’Institut. La méthode utilisée repose sur la thérapie génique médiée par vecteur viral: le virus transporte le matériel génétique adéquat pour que la cellule nerveuse exprime de nouveau des facteurs de croissance. C’est le facteur neurotrophique dérivé de la glie (GDNF) qui a été choisi afin de promouvoir la régénération neuronale [5].
Les nouvelles thérapies aident les personnes souffrant de lésions de la moelle épinière à réapprendre à marcher «de manière normale et naturelle».
© EPFL-Jimmy Ravier
«Le vecteur viral est introduit sous la lésion médullaire, commente le neuroscientifique. Le facteur GDNF a la particularité de créer un environnement chimiquement attractif qui favorise la repousse vers le bas des fibres nerveuses situées au-dessus de la blessure. Traversant la lésion, ces dernières créent de nouveaux circuits avec les neurones de la région locomotrice.» L’injection de marqueurs spécifiques dans la moelle épinière a montré que les axones commençaient à croître après trois à quatre semaines. La méthode a été validée sur souris [6], elle est en cours de test chez les primates non humains. «Si tout se passe bien, nous pourrions envisager de premiers essais chez l’être humain d’ici cinq ans», envisage Mark Anderson. La Suisse est l’un des leaders internationaux en matière de neurosciences et de la prise en charge de la paraplégie. Gageons que les années à venir nous réservent encore de belles avancées associant ces deux domaines.
L’implant posé sur la moelle épinière est un neurostimulateur connecté à un champ d’électrodes permettant de contrôler le mouvement des jambes.
© EPFL-Jimmy Ravier
1 Lorach H et al. Walking naturally after spinal cord injury using a brain–spine interface. Nature, 2023, 618: 126-133
2 Chaudhary U et al. Spelling interface using intracortical signals in a completely locked-in patient enabled via auditory neurofeedback training. Nat Commun, 2022, 13: 1236
3 19. Merkler D et al. Locomotor recovery in spinal cord-injured rats treated with an antibody neutralizing the myelin-associatedneurite growth inhibitor Nogo-A. J Neurosci. 2001; 21:3665-3673
4 Kucher K et al. First-in-Man Intrathecal Application of Neurite Growth-Promoting Anti-Nogo-A Antibodies in Acute Spinal Cord Injury. Neurorehabil Neural Repair, 2018; 32(6-7):578-589
5 Anderson MA et al. Required growth facilitators propel axon regeneration across complete spinal cord injury. Nature, 2018; 561: 396-400
6 L’article traduisant les travaux précliniques sur souris traitées avec le facteur GDNF a été accepté par la revue Science.

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