Mieux dormir pour protéger sa santé cardiovasculaire

Savoir
Édition
2024/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2024.1299365238
Bull Med Suisses. 2024;105(07):78-79

Publié le 14.02.2024

Cardiologie
Une récente étude menée par le Centre hospitalier vaudois conclut que les troubles du sommeil sont un facteur de risque des maladies cardiovasculaires aussi important que le diabète ou le tabagisme. Des actions visant à sensibiliser les patientes et patients à cette problématique peuvent être mises en place simplement.
Une équipe franco-suisse a étudié le risque d’accidents cardiovasculaires en lien avec cinq composantes du sommeil.
© Riopatuca / Dreamstime
Prévenir vaut mieux que guérir. Et en matière d’accident cardiovasculaire, une des mesures les plus efficaces serait peut-être... de bien dormir. Simple, cette recommandation prend tout son sens après la publication récente, dans The European Heart Journal, d’une étude [1] menée par des chercheurs du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de Paris. Leurs travaux montrent en effet que cinq composantes du sommeil impactent de manière notable le risque d’accidents coronariens et vasculaires cérébraux. Conséquence importante: améliorer l’une d’elles avec le temps permet d’augmenter significativement la protection face à ce risque.
Les spécialistes le savent depuis longtemps: un sommeil trop court ou de mauvaise qualité est un facteur de stress important pour l’organisme. Rien d’étonnant ainsi qu’il soit associé à l’apparition de maladies cardiovasculaires. Certains des mécanismes physiologiques à l’œuvre ont d’ailleurs été bien documentés. Par exemple, un sommeil insuffisant contribue à une hausse de la tension artérielle, les apnées du sommeil sont à l’origine de processus inflammatoires ou bien encore d’un stress oxydatif favorisant l’artériosclérose. Mais aborder de la sorte le lien entre sommeil et maladies cardiovasculaires est restrictif, car le sommeil ne peut être réduit à une seule de ses dimensions et il diffère selon les moments de la vie.

17 000 personnes suivies sur 10 ans

Dans une approche plus exhaustive, l’équipe franco-suisse a étudié le risque d’accidents cardiovasculaires (syndrome coronaire aigu et accident vasculaire cérébral) en lien avec cinq composantes du sommeil: sa durée chaque nuit, le chronotype (être du matin ou du soir), la fréquence des insomnies, l’existence de somnolences diurnes excessives et les apnées du sommeil. Ces dimensions ont été intégrées dans un score unique, le Health Score Sleep (HSS), qui a fait l’objet d’enquêtes auprès d’une vaste population regroupant deux cohortes: du côté suisse, 6733 personnes de plus de 35 ans de l’étude CoLaus|PsyCoLaus et, du côté français, 10 157 adultes de 50 à 75 ans de l’étude prospective parisienne n° 3. Évalué grâce à des questionnaires dotant chacune des composantes du sommeil d’une valeur de 0 ou de 1, le HSS a été calculé chez les participantes et participants au moment de leur entrée dans l’étude, puis deux à cinq ans plus tard. La survenue d’évènements cardiovasculaires a été surveillée pendant 8 à 10 ans environ.
En combinant les données sanitaires des cohortes et les scores d’entrée à l’étude, une première analyse confirme que plus le score initial est élevé ‒ qualifiant un bon sommeil ‒, plus le risque d’accident cardiovasculaire est faible. Les personnes ayant un sommeil optimal avec un score de 5 (10% des participants) ont un risque cardiovasculaire réduit de 63% par rapport aux personnes ayant un score de 0 à 1 (9% des participants). 32% des personnes, soit la majorité, ont un score de 3. «Chaque point de plus au HSS équivaut à une diminution du risque cardiovasculaire de l’ordre de 18%. Une valeur comparable à ce qu’on trouverait en cas de diabète ou de tabagisme, et qui classe les troubles du sommeil comme facteur de risque important des pathologies cardiovasculaires», souligne le Prof. Dr méd. Raphaël Heinzer, chef du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV et contributeur de l’étude.

16% de risque en moins

Lors de leurs travaux, les scientifiques ont pris soin d’ajuster les données en intégrant l’influence des autres facteurs de risque connus grâce à des modèles statistiques. Si les résultats témoignent d’une association prospective entre mauvais score de sommeil et maladies cardiovasculaires, «pour autant, ils ne constituent pas une preuve du lien causal entre les deux», observe Raphaël Heinzer. Pour le médecin, l’essentiel de l’étude se situe avant tout dans la mise en exergue du bénéfice qu’aurait tout un chacun d’améliorer son score de sommeil, chaque gain de 1 point du HSS au cours du temps contribuant à minorer fortement (16%) le risque cardiovasculaire, selon une seconde et inédite analyse des données.
Or, seuls 20% de la population ont vu leur sommeil évoluer pendant l’étude, dont un peu plus de la moitié se dégrader. «C’est dire si la marge de progression existe», ponctue Raphaël Heinzer. «L’ensemble de la communauté médicale, ainsi que les autorités sanitaires, auraient fort à gagner à prendre conscience de l’impact d’un bon sommeil, non seulement sur le bien-être des patientes et des patients, mais aussi sur leur santé cardiovasculaire. Et, partant de là, à mettre en place des moyens et favoriser les bonnes pratiques pour le protéger.» Le chercheur lausannois envisage des pistes d’actions concrètes: traiter l’insomnie grâce aux thérapies cognitivo-comportementales, mieux dépister les apnées du sommeil ou encore proposer aux patientes et patients de tenir à jour un agenda du sommeil pour s’assurer de dormir au moins 7 à 8 heures.

Sensibiliser au bon sommeil

«Ils pourraient aussi renseigner leurs habitudes de sommeil en remplissant un questionnaire dans la salle d’attente», renchérit Christian Schmied, médecin à l’Hôpital universitaire de Zurich et chercheur en cardiologie. Le spécialiste a publié en 2023, dans The European Heart Journal, un article [2] montrant comment stimuler le cerveau pendant le sommeil profond permettait d’améliorer la fonction cardiaque. Il souligne la qualité de l’étude, «qui, fait rare, comprend près de 50% de femmes et a été réalisée auprès d’une population dont l’âge moyen (entre 53 et 64 ans) couvre la période cruciale pour l’apparition des maladies cardiovasculaires».
Pour l’expert, s’il n’est pas évident pour une patiente ou un patient de perdre du poids, de faire attention à son taux de cholestérol ou d’arrêter de fumer, prendre soin de son sommeil est entendable aisément. «Dormir est une des méthodes les plus simples qu’a notre organisme pour récupérer et combattre l’inflammation chronique à l’origine des problèmes cardiovasculaires», résume-t-il. «Même si nos modes de vie ne nous y aident guère, il est indispensable d’offrir du temps libre à notre sommeil.»
1 Aboubakari N. et al, Healthy sleep score changes and incident cardiovascular disease in European prospective community‐based cohorts, European Heart Journal 2023.
2 Huwiler S et al., Auditory sleep slow wave stimulation enhances echocardiographic parameters of left ventricular function, European Heart Journal 2023.

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